Witold Vargas est un écrivain, musicien et illustrateur polonais. Connu notamment du grand public pour avoir vulgarisé la culture et la religion des anciens peuples slaves, il a créé avec Paweł Zych une série dédiée au bestiaire slave (« Bestiariusz Słowiański »). Cependant, peu de gens savent que ce professeur de dessin, musicien, compositeur et illustrateur de livres (pour les petits et les grands) est un ancien élève du LFV ! Dans une interview exclusive, il nous parle de son parcours scolaire au LFV ainsi que de sa passion pour l’art…
QUEL A ÉTÉ VOTRE PARCOURS APRÈS LE LFV ? QUEL MÉTIER EXERCEZ-VOUS AUJOURD’HUI ?
J’ai quitté le LFV en 1987, ça remonte donc un peu. À l’époque, l’école était très différente : il était hors de question de parler un seul mot de polonais pendant les cours ou les pauses. Il arrivait que nous discutions en polonais entre amis, mais ce n’était que rarement et presque en secret. Cela déplaisait parfois à nos quelques camarades français. D’ailleurs, le LFV n’était pas encore reconnu comme étant un véritable établissement scolaire ; nous étions donc obligés de passer notre baccalauréat à l’étranger.
Nous n’avions pas de cours de polonais ni en polonais. De même, pas de baccalauréat polonais. Et comme je voulais échapper à l’armée (qui était obligatoire à l’époque), j’ai fait deux ans d’études romanes à l’Université de Varsovie pour accéder ensuite aux études d’art dont je rêvais.
Une fois diplômé, j’ai travaillé plusieurs années dans la publicité en tant qu’infographiste et j’ai commencé mon parcours de professeur. J’ai même voulu enseigner au LFV, et on m’avait promis de me recontacter dès qu’un poste de professeur d’arts visuels se libèrerait. C’était il y a environ 25 ans.
Au bout de quelques années, j’ai quitté la publicité pour des raisons éthiques. Toutefois, mes revenus de l’époque m’ont permis de garder une certaine stabilité financière. Par la suite, j’ai décidé de devenir professeur d’art, métier que j’exerce toujours. En parallèle, j’ai joué dans un groupe de musique pendant 20 ans.
J’ai commencé à jouer lorsque j’étais encore à l’école, ce qui fait que je devais parfois m’absenter pour des concerts. Mais comme j’étais bon élève, les enseignants fermaient les yeux sur ça, et je leur en suis toujours très reconnaissant.
Un jour, un ami et moi avons commencé à publier des livres que nous écrivions et illustrions nous-mêmes. Ils ont aujourd’hui toujours beaucoup de succès et continuent à bien se vendre. Il s’agit de la série « Legendarz » qui comprend le « Bestiariusz Słowiański », un lexique de la démonologie populaire polonaise.
En outre, je suis conteur et j’anime des réunions d’auteurs, des conférences et des ateliers à propos de mes livres dans toute la Pologne. Ce style de vie qui m’amène à vivre des expériences différentes chaque jour me convient très bien : je ne connais pas la routine !
QU’EST-CE QUI VOUS PLAÎT LE PLUS DANS VOTRE TRAVAIL ? QUELS CONSEILS DONNERIEZ-VOUS À DES ÉLÈVES QUI SOUHAITERAIENT ÉVOLUER PLUS TARD DANS CE MILIEU ?
Dans mon métier d’enseignant, j’apprécie tout particulièrement le contact que j’entretiens avec les enfants, l’ambiance des cours et le fait que que j’ai la possibilité de partager ma passion pour les arts visuels. Cependant, c’est une profession assez éreintante pour moi, car les cours exigent pas mal d’efforts. Alors, une fois chez moi, j’ai besoin de beaucoup de repos. Voilà donc mon conseil aux enseignants en herbe : ne dépendez pas uniquement de cette profession ! Vous devez bien sûr l’aimer, parce que sans ça, il vaut mieux ne pas vous y mettre, mais ne vous y cantonnez pas. Un bon professeur est un professeur passionné qui exerce idéalement aussi dans le domaine qu’il enseigne. En illustrant des livres parallèlement à mon métier d’enseignant d’art, je ne tombe pas dans une routine qui pourrait nuire à mes capacités d’enseignement et à l’ambiance des cours.
Être illustrateur est le plus beau métier du monde ! Je dessine là où je veux : dans un parc, sur une plage ou même lors d’un dîner entre amis ! Grâce à ma situation professionnelle actuelle, je ne suis plus obligé de courir après les commandes ou d’illustrer des choses qui ne m’intéressent pas. Ce serait comme enseigner sans passion. Mais pour y arriver, j’ai dû devenir un illustrateur apprécié, ce qui a demandé du travail.
J’ai passé des milliers d’heures, mon crayon à la main. Je travaille chaque jour : j’observe le monde même en prenant le métro. Les illustrateurs qui n’ont pas atteint ce niveau de confort sont très stressés, car ils vivent de commission en commission. Mais c’est comme ça pour tous les métiers. Il ne suffit pas de choisir une profession. Il faut s’améliorer, être performant et être capable de présenter ses compétences au public.
Je pense que dans chaque métier lié à l’art, personne ne viendra frapper à votre porte si vous n’allez pas d’abord vers les gens et que vous ne vous faites pas connaître. Cela demande beaucoup d’efforts et de compétences, mais si vous réussissez, vous n’aurez jamais de patron de votre vie. Personne ne vous donnera d’ordres ou ne vous obligera à faire des choses dont vous n’avez pas envie.
Pour moi, cette liberté n’a pas de prix et je recommande à tous ceux qui sont doués en art et qui souhaitent sortir des sentiers battus de suivre cette voie.
QUELS SOUVENIRS GARDEZ-VOUS DU LYCÉE FRANÇAIS DE VARSOVIE ?
D’excellents souvenirs ! L’école était petite à l’époque. Je n’ai passé qu’une seule année dans les locaux actuels. Avant, nous étudions rue Królowej Aldony, et même auparavant dans l’Institut autrichien situé au centre-ville.
Ce que j’ai le plus aimé, c’était que nous étions poussés à nous baser sur des sources, à analyser des problèmes et à chercher des solutions. L’enseignement au LFV était très différent de celui de mes amis venant d’autres établissements : ils apprenaient par cœur, tandis que moi, je devais réfléchir et chercher moi-même l’information. Nous n’avions pas internet, alors il fallait fouiller dans les livres. Cela m’a très bien préparé à utiliser internet à bon escient dès que j’y ai eu accès.
Aujourd’hui, le web est la plus grande bibliothèque du monde. Il est très utile pour les personnes qui savent chercher, mais moins efficace pour ceux qui ne savent pas faire de vraies recherches et qui comptent sur l’algorithme pour faire tout le travail.
Je tiens particulièrement aux amitiés que j’ai nouées durant ma scolarité. Mes camarades venaient du monde entier et j’ai gardé le contact avec certains d’entre eux. À l’école, je me suis familiarisé avec leurs cultures et nous avons beaucoup discuté. C’était très enrichissant.
Je n’ai pas aimé le système du CNED (Centre national d’enseignement à distance) que nous devions suivre en dehors des cours. Entre l’école et les devoirs à la maison, nous avions toujours du retard dans nos projets. C’est une bonne chose que ce dispositif ne soit plus en place.
AVEZ-VOUS TOUJOURS UN LIEN AVEC LE FRANÇAIS ET LA CULTURE FRANÇAISE DANS VOTRE VIE PRIVÉE ET/OU PROFESSIONNELLE ?
Ma sœur vit au Luxembourg, et je ne parle qu’en français avec mes neveux. J’ai aussi beaucoup d’amis francophones avec qui j’échange. Ce n’est pas assez ? Je dirais au contraire que c’est déjà beaucoup ! Avoir un ami francophone et lui parler en anglais est une chose, lui parler en français en est une autre. Sauf, bien sûr, si l’on pense que communiquer se résume à transmettre des informations essentielles. Mais la culture et la langue françaises, comme vous le savez bien, vont bien au-delà de ça…
La culture française a développé des façons uniques d’utiliser la langue, ce que l’on appelait autrefois « l’esprit » : un sens spécial de l’humour, de la satire et de l’allusion qui laissait une grande place aux jeux de mots. Je parle cinq langues et je n’ai retrouvé cette spécificité dans aucune autre. En ai-je besoin dans ma vie professionnelle ? Pas directement, mais dans mes relations, oui. Et c’est bien plus important que notre course quotidienne.
Un autre avantage de cette formation, c’est l’apprentissage de la lecture en français. Pour la littérature, il est évident que les versions traduites d’ouvrages n’ont rien à voir avec les versions originales. Mais c’est surtout le fait d’avoir accès aux études scientifiques françaises qui est pour moi un puits sans fond. Je suis constamment amené à lire des œuvres ethnographiques, historiographiques, culturelles, etc. Pouvoir accéder aux bibliothèques françaises et à leurs ouvrages qui n’ont pas été traduits dans une autre langue est pour moi très précieux.
C’est ma connaissance avancée de trois langues, à savoir l’anglais, le français et l’espagnol, qui me permet de consulter ces écrits. L’allemand courant me serait également utile, mais bien que je l’ai appris au LFV, mon niveau se limite au B2. Ma professeure d’allemand y travaille toujours. Elle n’était pas beaucoup plus âgée que moi à l’époque et portait toujours son nom de jeune fille. Je ne connais donc pas son nom actuel.
POUR QUELLES RAISONS RECOMMANDERIEZ-VOUS LE LYCÉE FRANÇAIS DE VARSOVIE ?
Je ne sais pas si le LFV est toujours ce qu’il était. Il me semble que non. J’ai été surpris, par exemple, de pouvoir vous répondre en polonais. À l’époque, ça n’aurait pas été possible. De plus, nous n’étions que quelques élèves par classe : nous, on était 12 et c’était déjà beaucoup. Dans la classe de mon frère, ils étaient seulement 4. L’ambiance était familiale et nous étions tous de nationalités différentes. Nous avons appris à connaître nos cultures respectives, ce qui est inestimable ! Dans toute l’école, il y avait cinq Français, et probablement autant de Polonais. À ce moment là, je me considérais encore comme Bolivien, donc je ne me comptais pas parmi les Polonais. Aujourd’hui, c’est différent.
Comme je ne connais pas trop le LFV d’aujourd’hui, je ne peux pas répondre de manière pertinente. Mais côtoyer d’autres cultures différentes de la nôtre et suivre une scolarité dans une langue qui est différente de notre langue maternelle, c’est toujours un grand avantage. Cela demande des efforts, mais avec une attitude passive face à la vie, nous ne pouvons pas nous attendre à ce qu’elle se déroule comme on le souhaite.
Lorsque je suis entré à l’université, j’ai subi un vrai choc. C’est là que j’ai découvert qu’il y avait des gens qui s’attendaient à ce que tout leur soit donné d’avance. Pas de recherche, pas d’initiative, pas de sens de la responsabilité pour se former. Personne ne levait la main ni ne posait de questions. Plusieurs étudiants trichaient. Notre petit LFV était très différent. Si c’est toujours le cas, dire que je recommande cette école, ce n’est rien dire du tout : je vous exhorte à la choisir !